Outre ces éléments, il faut ajouter que l’histoire s’inscrit dans un contexte
socioculturel donné, qui ajoute à la vraisemblance, voire à l’effet de réel. Cette
focalisation narrative détermine une typologie du genre policier. Ainsi, on a le roman à
énigme où tout converge vers le coupable, le crime parfait qui focalise l’attention sur
le crime, la chambre close où le crime et le mode opératoire [du crime] sont
mis de l’avant, le roman noir qui situe la société en premier plan, le roman
procédurier qui s’élabore sur les procédures professionnelles liées à l’enquête,
etc.
Suite à l’analyse de ces deux romans, en procédant à la désignation du héros à partir
des procédés différentiels de Hamon (1977), nous avons constaté que, chez Soulières,
non seulement la représentation du héros est loin d’être conventionnelle et stéréotypée
mais que le genre est parfois singularisé.
Enquête sur le héros dans Le visiteur du soir
Compléments d’enquête
L’analyse du Visiteur du soir montre que ce roman appartient à la forme classique du
policier, puisqu’il est construit autour des six éléments de base, avec en filigrane la
société québécoise des années 1970. Il relève du roman procédurier, puisque la
focalisation narrative est principalement fixée sur l’enquête. L’inspecteur Jacob doit
restituer une toile de Jean Paul Lemieux, Le visiteur du soir, dérobée au Musée des
beaux-arts de Montréal, et pour cela il cherche à identifier le coupable. Quand il met
la main sur les deux adolescents qui l’ont « empruntée », la toile n’est déjà
plus en leur possession (chapitre 10). En outre, plus avant dans le roman, de
coupables, les deux adolescents deviennent enquêteurs à partir du moment où,
délestés de ladite toile, ils offrent leurs services à l’inspecteur Jacob pour la
retrouver. Ils deviennent dès lors des adjuvants à la propre quête de l’inspecteur
Jacob, le consacrant ainsi comme héros. En effet, très souvent en littérature
populaire – nous pourrions tout aussi bien dire en littérature pour la jeunesse –, le
héros a un double, un compagnon qui partage avec lui quelques-unes de ses
qualifications. Ce procédé correspond généralement au besoin qu’a le lecteur de
se reconnaître dans un personnage autre que le héros plus inaccessible. Ici,
ce double du héros incarné par l’inspecteur Jacob serait le tandem formé de
Charles et de Vincent. Le héros tout désigné semble bien être l’inspecteur
Jacob.
Toutefois, dans Le visiteur du soir, le récit tel qu’il est construit propose plutôt les
deux adolescents comme héros. En effet, d’entrée de jeu, l’incipit du roman nous
présente deux personnages, Charles et Vincent, faisant figures de héros au sens narratif
du terme. Ils « empruntent » la toile de Jean Paul Lemieux, Le visiteur du soir,
exposée au Musée des beaux-arts de Montréal dans le but de gagner le Prix
Arsène Lupin, prix du Carnaval organisé par leur école, et réservé à la prise la
plus osée, la plus insolite qui soit. Tel l’arroseur arrosé, ils seront délestés de
cette même toile par de véritables malfaiteurs, cette fois. Leur quête, qui est
de participer au concours du Carnaval de leur école, se confond donc avec le
mobile du crime. Par la suite, tel que mentionné plus haut, les deux adolescents
proposent leur aide à l’inspecteur Jacob. À la fin du roman, si la toile est remise au
musée, c’est la quête des deux adolescents qui triomphera puisqu’ils auront la
permission des autorités