envahie par un sentiment de culpabilité et fait parvenir des messages
électroniques à Étamine pour lui communiquer son désarroi. Bien qu’elle soit en
voyage pour le congé des fêtes, cette dernière contacte son amie et lui présente
sa vision des choses : « la fois où j’ai volé, j’avais piqué une balle dans un
magasin de sport. Cette maudite balle pesait une tonne dans ma poche. Quand on
m’a pincée, j’ai été tellement soulagée que la punition m’a fait l’effet d’une
récompense. » (1999, p. 65) La jeune excentrique a une vision du monde qui récuse
une logique manichéenne mais qui adhère à certains principes moraux bien
personnels.
Dans cette trilogie, les personnages principaux ne correspondent pas systématiquement
aux stéréotypes habituels concernant les identités sexuelles. Si Laurence est disciplinée
et responsable, ce qu’on attend généralement des filles, ce n’est pas pour répondre à
l’autorité patriarcale (le père est absent et le directeur est ridiculisé), mais bien dans
une optique d’entraide : elle assume certaines tâches pour aider sa mère qui ne la
tyrannise pas pour autant. Étamine, pour sa part, est une fille plutôt rebelle qui ne
correspond pas aux critères de beauté féminine ; même vers la fin, lorsqu’elle se lave et
s’habille « comme les autres », les illustrations la représentent échevelée et originale.
Mal modelée, Étamine est en quelque sorte heureuse de ne pas souscrire aux normes
sociales. Quant à Laurence, petite fille davantage modèle, elle est en mesure de
développer une conscience critique face à l’autorité et aux institutions. Si, par
l’entremise du personnage d’Étamine, le récit valorise un parcours singulier, il
ne s’inscrit pas pour autant dans le sillage d’un discours narcissique, puisque
l’attention de l’héroïne est d’abord tournée vers les autres et leur bien-être. En
brossant le portrait de personnages qui sont à la fois différents et solidaires, la
trilogie expose les contradictions inhérentes à l’individu hypermoderne. Alors
qu’ils s’adaptent à certains idéaux de la modernité, les discours féministes
transposés au sein de la série de Legault échappent aux dogmes modernes et au
flou identitaire véhiculé par l’idéologie postmoderne. Comme en fait état le
discours à la première personne, le patriarcat est un système que l’on remet en
question au même titre que tous les autres systèmes figés qui paralysent les
individus. La trajectoire des jeunes personnages montre bien que les modèles
féminins ne sont pas uniformes. Les avancées du féminisme s’accompagnent d’un
discours pluraliste qui décrit bien le caractère hypermoderne des fillettes dans la
série de Legault, n’en faisant ni des petites filles modèles, ni des fillettes mal
modelées.
Bibliographie
-
- Beauvoir, S. (1949). Le deuxième sexe, tomes I et II, Paris, Gallimard.
-
- Détrez, C. et A. Simon (2003). « Petites filles mal modelées et nouveaux modèles
de fillettes dans le roman français féminin contemporain », Tessera, 35, p. 41–54.
-
- Lavergnas-Grémy, I. (1986). « Les débats contemporains sur l’altérité et le rapport
à la compréhension des rapports de sexe », dans H. Dagenais (dir.), Approches et
méthodes de la recherche féministe, Québec, Éd. du GREMF, p. 46–77.
-
- Leblanc, Louise (2003). Sophie par en orbite, Montréal, La Courte échelle, coll.
« Premier roman ».
-
- Lepage, F. (2000). Histoire de la littérature pour la jeunesse. Québec et francophonies
du Canada suivie d’un Dictionnaire des auteurs et des illustrateurs, Orléans, David.