Au-delà du héros-enfant :
Toupie et Binou recréateurs du monde
Daniel Chouinard
University of Guelph, Canada
dchouina@uoguelph.ca
Résumé
Les quatre séries de Dominique Jolin mettant en vedette Toupie et Binou
respectent à première vue les paramètres du bébé-livre tels que Suzanne
Pouliot les a identifiés. Toutefois, ces ouvrages se démarquent de la plupart
des séries concurrentes. Par exemple, le recours à l’image de l’animal
humanisé, comme représentation métaphorique du héros-enfant, donne lieu
à de singuliers renversements de rôles et de valeurs ; en effet, si chacun des
albums Toupie reprend les thèmes et les unités pédagogiques du genre, il
n’en reste pas moins que se manifeste une volonté de dépasser les limites du
format bébé-livre. Ainsi, les micro-aventures donneront lieu à d’étonnantes
réalisations graphiques où l’enfant-lecteur, imposant le triomphe de son
imagination, fait éclater le topos de l’anthropomorphisme didactique pour
y substituer un polymorphisme ludique et euphorisant, qui transforme
l’exploration de l’environnement immédiat du bambin en recréation du
monde.
1. Problématiques du bébé-livre
Dans un sens, les bébés-livres nous semblent remettre en cause deux données essentielles
de la littérature et de son support, le livre. En tout premier lieu, celui-ci s’avère
fragile et bien des oeuvres sont ainsi disparues à jamais dans la nuit des temps à
cause de la perte et de la destruction de tous les exemplaires (Curtius, 1956,
p. 3–16). Il n’y a pas lieu de nous livrer ici à des considérations à la Borges,
mais force est de constater, que dans sa matérialité même le bébé-livre reste
l’un des rares spécimens d’ouvrages conçus en tenant compte de la fragilité
intrinsèque du livre (Demers et Bleton, 1994, p. 127). Ce type de livre, en effet, est
immédiatement identifiable par son format, environ de 10 à 15 sur 10 à 15
centimètres, et