par la solidité du matériau, soit un plastique souple pour les
« lecteurs » nourrissons (ou catégorie 3 à 6 mois), soit un carton épais pour
ceux qui sont en voie ou viennent d’être sevrés (ou catégorie 6 à 24 mois).
L’objet-livre existe donc dans un rapport de douceur et d’agression avec son
lecteur qui mérite par excellence l’appellation de consommateur, car pour le
tout petit enfant, tout se passe comme si le premier contact avec le livre se
faisait non par l’oeil mais par la main et la bouche. La conception du bébé-livre
préconise donc dans sa fabrication la recherche de la solidité à toute épreuve ; en
revanche et en second lieu, le contenu remplit une fonction inverse, puisque, si le
support, matériellement, tend à la permanence, la dimension intellectuelle du livre
se confine au transitoire. En effet, le contenu se caractérise par une portée
limitée, correspondant à une étape du développement mental de l’enfant, comme
l’apprentissage des couleurs, des liens de familles, des catégories d’animaux ou
d’objets (Pouliot et Lacroix, 2001, p. 13–28). Une fois ce contenu assimilé,
le bébé-livre perd toute pertinence et n’est bon qu’à être rangé au grenier.
La relecture ne serait pas ainsi le propre de ce type de livre. Pourtant, cette
présupposition d’un contenu nettement délimité nécessite un examen plus
poussé.
Ce mandat d’univocité et d’immédiateté du contenu se voit admirablement
appliqué dans les collections de bébés-livres mettant en vedette
Caillou1
Nous résumons ici, et à grands traits, l’analyse que nous faisons du phénomène Cailllou dans
notre ouvrage en cours de préparation, La littérature pour la jeunesse comme discours
littéraire.
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On a maintes fois démontré ou dénoncé les produits de la multinationale Cinar, où rien
ne semble laisse au hasard. D’une part, se remarque une présentation irréprochable
d’objets manufacturés, fruit de la collaboration d’une équipe de concepteurs, de
dessinateurs, de psychologues et d’éducateurs ; d’autre part, s’impose une machine
commerciale impeccable et implacable qui va sans doute s’accaparer une part
importante du marché mondial des livres destinés à l’enfance. Néanmoins, la
cohérence de l’entreprise ne peut soulever que de l’admiration. Du bébé-livre
pour les nourrissons à l’album pour le jeune d’âge scolaire, la progression des
séries est d’une logique et d’un suivi indéniables. Prenons comme exemple de la
première catégorie, l’album
Les Amis : six pages, six illustrations, six animaux
domestiques (Tipéo [?], 1999, n. p.). Pour l’illustration insérée dans un cadre
d’une couleur de base, un rouge vif, notre héros, Caillou, en diverses tenues
d’intérieur ou d’extérieur, regarde ou touche un animal domestique (poisson rouge,
chat, chien) ou apprivoisé (une souris, une grenouille ou un oiseau) ; pour le
texte, tout simplement, s’énonce en caractères d’imprimerie le nom de l’animal
(paradigme : un syntagme nominal précédé de l’article défini) accompagné d’une
onomatopée calligraphiée, soit le cri associé traditionnellement à l’animal en
question. A qui attribuer cette « oeuvre »? La quatrième de couverture se
contente d’énumérer : « Illustrations : Tipéo. Conception graphique : Monique
Dupras ». Nul n’ignore que chaque opuscule
Caillou est en fait un produit
stakhanoviste à la Disney. Industriel, certes, mais d’une redoutable efficacité.
Une tête ronde à la Tintin et Bécassine, un graphisme dépouillé où chaque
personnage, animal et objet, est nettement défini et enserré dans un trait noir
très prononcé, comme une parodie de la fameuse « ligne claire » de l’école
hergéenne. Pourtant, une certaine complexité s’y profile, car, par exemple, la
salopette du personnage, dans la deuxième vignette, arbore une tête