Le bannissement des stéréotypes sexuels des livres pour enfants et la
libération sexuelle des femmes ont aussi eu pour conséquence de transformer
le portrait psychologique des jeunes héroïnes et de les faire basculer dans
de nouveaux stéréotypes, celui de la petite fille délurée qui ne pense
qu’à s’affirmer dans un monde où la suprématie ne lui est concédée qu’à
regret. (Lepage, 2000, p. 293)
S’il est vrai que plusieurs protagonistes des premiers romans sont audacieuses et
débrouillardes, dans la mesure où elles se montrent d’abord préoccupées par
l’accumulation de victoires personnelles dans un entourage incarnant pouvoir et autorité,
il n’en demeure pas moins que le roman québécois de la dernière décennie campe des
fillettes qui ne se situent pas toujours dans une logique opposant la soumission à
l’affranchissement. Tout se passe comme si la production romanesque des dernières
années avait laissé place à des personnages féminins qui n’aspirent ni à contester
l’autorité en place, ni à consentir à ses règles. Comme l’indique à juste titre Lepage,
« le héros ou l’héroïne d’aujourd’hui est infiniment plus déluré, plus curieux,
plus actif, mais en même temps plus vulnérable. […] Il doit parfois faire face
très jeune à des problèmes familiaux qui ne sont pas de son âge » (Lepage,
2000, p. 293). On parle, dans le cas du roman féminin contemporain, de « la
petite fille mal modelée [qui] semble s’être affranchie de jugement moral. »
(Détrez et Simon, 2003, p. 41). Dans un contexte où les stéréotypes de la
féminité sont revisités, il convient de se demander si, dans les courts romans
québécois pour la jeunesse, les représentations de fillettes ratées, selon les normes et
les lois sociales en vigueur, dominent celles où les petites filles acceptent leur
différence et s’en servent pour s’émanciper des poncifs, qu’il soient patriarcaux ou
féministes.
Dans le cadre de cette étude, je me propose d’examiner une trilogie destinée à un
jeune lectorat. Il s’agit plus précisément des courts romans d’Anne Legault dont une
jeune narratrice relate les aventures de la singulière Étamine Léger. Rappelons les
titres respectifs des trois ouvrages qui composent la série : Une fille pas comme les
autres (1997), Une première pour Étamine Léger (1998) et Un message d’Étamine Léger
(1999). Publiés dans la collection « Roman jeunesse » de La courte échelle, les récits
s’adressent à un lectorat âgé de neuf ans et plus. Mon propos vise à montrer que ces
textes mettent en lumière le parcours identitaire de jeunes sujets féminins dont les
actions et les discours sont étayés des traits de l’hypermodernité. Un appareil de lecture
articulé autour d’une notion que l’on a développée récemment (Lipovetsky
et Charles, 2004) permettra de mieux cerner les caractéristiques des jeunes
héroïnes qui tentent d’abolir les stéréotypes, autant ceux issus du patriarcat que
ceux dérivés des mouvements de libération des femmes. Contrairement à ce
qu’avance Lepage, « [ces] romans sériels construits autour d’un personnage féminin
[ne présentent pas] à la jeune lectrice une image apparemment flatteuse de
ce qu’on voudrait qu’elle soit ou qu’elle devienne. » (2000, p. 296) Vers quel
modèle convergent alors les représentations de ces fillettes qui valorisent la
solidarité dans la différence? Avant de pousser plus loin la réflexion sur les
nouveaux modèles féminins, il importe de définir l’hypermodernité dans ses grandes
articulations.
Selon Lipovetsky et Charles, l’hypermodernité permet de rendre compte d’une
« société libérale caractérisée par le mouvement, la fluidité, la flexibilité » qui,