Voyons voir. Le bonheur n’habite pas dans le quartier des pauvres. Ça j’en suis sûre. Le bonheur n’habite pas dans le quartier des affaires. Ni dans le quartier des immigrants, parce qu’ils arrivent avec leurs instruments de nomades dans leurs bagages […]. Ah. J’ai trouvé. Le quartier des collines, là où logent les très riches. (Gingras, 2003, p. 29–30)

En regard des liens existant entre identité et espace, l’extrait précédent s’avère un cas exemplaire que ne dédaignerait pas de considérer la géographie humaniste, elle qui, d’un point de vue anthropologique, voit dans le second degré des textes littéraires la possibilité d’une recherche de l’« expression des finalités, des modes de représentation et de contradiction des sociétés » (Bailly, 1990, p. 10). « Les textes littéraires, écrit Antoine Bailly, illustrent une manière dont les personnes construisent leur univers » (Bailly, 1990, p. 10). Cette thèse met en lumière l’essentielle médiation humaine convoquée par la représentation spatiale et le caractère incontournable de l’inscription sociale de cette médiation. La conception de Bailly se révèle d’autant plus pertinente en littérature que l’espace, pour exister dans les univers doublement symboliques des œuvres, doit être perçu. Cette perception obligée place le sujet ontologique au centre de la construction du système spatial.

En littérature, si l’importance de l’espace dans la poétique romanesque ne fait aucun doute, les études fondamentales sur la question ne sont pas légion. Pourtant, dès 1966, dans « Espace et langage », Gérard Genette souligne l’aspect vectoriel de l’espace pour la manifestation du sujet percevant : « L’espace est d’abord un parti pris, dans le double sens à la fois résigné et passionné du terme » (Genette, 1976, p. 102). En 2002, une esthétique de l’espace, développée par Marie-Claire Ropars-Wuilleumier propose une définition de l’espace mettant essentiellement à contribution le sujet et rappelant la notion de « parti pris » évoquée par Genette : « L’espace n’est pas un lieu, on dira plutôt un rapport au lieu, et à ses lois d’orientation  » (Ropars-Wuilleumier, 2002, p. 9). Ropars-Wuilleumier ajoute, fort justement, que ce rapport à construire « requiert tout à la fois l’inclusion d’un sujet humain qui s’approprie cardinalement ses repères, et la mise en jeu d’une logique de l’observation, faisant de cette inclusion l’opérateur d’une expropriation du lieu lui-même » (Ropars-Wuilleumier, 2002, p. 9). La notion d’ « expropriation du lieu », bien que tout à fait pertinente philosophiquement, apparaît difficilement praticable dans la perspective plus pragmatique qui est la nôtre. Les postures théoriques de Philippe Hamon dans « Pour un statut sémiologique du personnage » (Hamon, 1977) et de Claude Reichler – dans « Frontières du monde et territorialité du sujet » (Reichler, 1990) – semblent, à cet effet, plus opératoires en ce qu’elles sont davantage intégratives que dissociatives. Hamon, traitant de la caractérisation indirecte des personnages, recourt à l’association traditionnelle entre espace et description et renvoie ainsi à la matière même du discours. Cet « actant collectif », affirme-t-il, « peut être non seulement un simple doublet du personnage, mais aussi un personnage à part entière » (Hamon, 1977, p. 163). Dans cette perspective, l’espace accentuerait « l’anthropomorphisme du récit » (Hamon, 1977, p. 163). Depuis l’angle d’une poétique de la narration du voyage, Reichler, quant à lui, considère les différentes étapes du parcours du voyageur à la lumière de ce qu’il appelle les « lieux (ou […] instants) de configuration » (Reichler, 1990, p. 125). Ces figures désignent les moments où « le monde, le texte, et le sujet prennent