1. D’Ali Baba à Marie-Baba
Comme en fait état le paratexte, l’album Marie-Baba et les 40 rameurs entame un
dialogue avec le conte Ali Baba et les quarante voleurs. En vertu de la simple similitude
phonétique des deux titres, un horizon d’attente est créé, suggérant qu’un parallélisme
avec le conte arabe soit dressé dans l’album. Sa lecture révèle, en effet, certaines
parentés intertextuelles. Mais elle montre également quelques glissements ou
modifications. Comme l’indique d’emblée le paratexte, le nom de l’héroïne, Marie-Baba,
est calqué sur celui d’Ali Baba, ce qui suppose que la personnalité de celle-ci et
les péripéties qu’elle vivra seront dignes d’être immortalisées dans un conte.
Outre l’onomastique, un glissement important s’opère d’un titre à l’autre : dans
l’album de Tremblay, il n’est plus question de quarante voleurs mais plutôt de
quarante rameurs, ce qui signifie que l’histoire se déroulera en grande partie sur un
bateau.
Mis à part le renvoi intertextuel, le titre de cet album pique la curiosité. D’abord, le
nom de l’héroïne, « Marie-Baba », sort de l’ordinaire et donne à penser que celle qui le
porte sera tout aussi originale. Puis, le titre provoque un rapprochement inusité.
Qu’est-ce qu’une fillette peut bien avoir à faire avec quarante rameurs? Le titre renvoie
directement au personnage principal de l’album ainsi qu’à l’élément central de l’histoire,
la chasse au trésor en compagnie des quarante rameurs. Cette chasse au trésor étant le
lieu où s’exprime avec brio la nature courageuse, active et astucieuse de Marie-Baba, on
peut émettre l’hypothèse que le titre évoque la personnalité non stéréotypée
de la fillette. Dans cette étude, je tenterai de cerner les ressemblances et les
divergences existant entre l’œuvre de Tremblay et Jolin et le conte Ali Baba et les
quarante voleurs. Pour ce faire, je ferai successivement appel à la structure
générale du conte et aux fonctions de l’intertextualité établies par Vincent Jouve
(1997). Mais avant de procéder à l’analyse, quelques précisions sur l’intertexte
s’imposent.
1.1 Ali Baba et les quarante voleurs
Ce conte est issu du recueil Les Mille et une nuits. Les nombreux textes réunis sous ce
titre sont très anciens et viennent de plusieurs pays d’Orient. Les Mille et une nuits
connaissent un grand succès dans l’Europe du dix-huitième siècle grâce à Antoine
Galland qui, de 1704 à 1717, travaille à la traduction française de ces contes. C’est
d’ailleurs Galland qui, à partir de manuscrits ne figurant pas dans les versions
originales, introduit dans le recueil les contes de Sindbad, d’Aladin et d’Ali
Baba.
Les Mille et une nuits ont pour pierre d’assise l’histoire de Shéhérazade (Shahrâzâd)
qui ne cesse de raconter des histoires au Schahriar (Shâhriyâr), afin de sauver sa vie.
Rusée, la jeune femme s’arrange pour que ses récits en génèrent d’autres, ce qui lui
permet de ne jamais conclure ses histoires avant l’aube. Curieux de connaître la suite, le
roi retarde constamment l’exécution de son épouse. Au terme de mille et une nuits de
récits, Schahriar épargne la conteuse intarissable. L’histoire de Shéhérazade,
qui constitue le contexte narratif, permet ainsi de juxtaposer des contes qui
n’ont aucun lien entre eux et qui ont enrichi le contenu des Nuits de siècle en
siècle.
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