paradigmatique émane de leur
expérience imaginée, à laquelle ils donnent des identités textuelles à intérioriser aux
jeunes lecteurs source. Que se passe-t-il lorsque ces espaces identitaires étrangers sont
traduits dans des cultures cible dont l’« identité » construite des jeunes est éloignée des
thèmes et des discours source? À y regarder de plus près, cette question se pose en fait à
propos de l’ensemble des processus de traduction (quels que soient les textes à traduire)
et recoupe l’essentiel de ce qui est en jeu en traduction. Pour tirer cet aspect
au clair, nous envisagerons ici un cas typique de traduction, le traitement de
l’œuvre de James Oliver Curwood en français, en relation avec la traduction des
« récits de chiens » de Jack London, par les deux mêmes traducteurs qui ont
travaillé en tandem à la traduction des deux œuvres, Paul Gruyer et Louis
Postif. Nous présenterons nos hypothèses sur la « conversion » romanesque de
James Oliver Curwood en l’évaluant dans ses rapports avec l’œuvre de Jack
London.
The Wolf-Hunters (1908), Kazan (1914) et The Grizzly King (1916) ou la
« conversion » de J. O. Curwood
L’œuvre romanesque publiée de James Oliver Curwood, qui s’étend de 1908 à 1929 (il
meurt en 1927), a connu vers 1914 une réorientation thématique à 180 degrés. Une
partie des récits qui ont précédé 1914 abordait le thème de la chasse. Puis, à partir de
1914, il n’est plus question de chasse, ni au loup, ni à l’ours, ni au grizzly, ni aux
petits animaux. Au contraire, Curwood se fait le défenseur de la faune dans le
Grand Nord. Ainsi, The Wolf-Hunters, dont la publication remonte à 1908,
raconte la chasse aux loups, renards, visons, etc., effectuée pendant l’hiver
par trois trappeurs, le vieil Indien Mukoki, le jeune métis Wabi et Rod, un
ami américain de Wabi. Cette chasse est faite pour de l’argent : les peaux des
animaux tués sont vendues à la compagnie de la Baie d’Hudson, qui tient une
factorerie au poste de Wabinosh-House. Sur ces aventures de trappe se greffe une
opposition farouche entre la tribu de Mukoki/Wabi et celle des Woongas. Les
Woongas cherchent à se venger de ce que Minnetaki, jeune Indienne suprêmement
belle, avait choisi d’épouser un jeune Anglais, John Newsome, au lieu du chef
woonga. Les Woongas se mettent hors la loi en donnant libre cours pendant des
décennies à leur ressentiment. Minnetaki mère donne naissance à Minnetaki
et à Wabi. Dans le récit, Rod est amoureux de Minnetaki fille, laquelle est
aussi belle que sa mère. Le récit se termine après trois mois de chasse par un
retour à la factorerie. Rod retrouvera Minnetaki après un séjour à Chicago avec
sa mère, car ils sont invités au printemps à rejoindre Wabi et Minnetaki à
Wabinosh-House. Entre parenthèses, pendant la chasse, ils étaient tombés sur une
cabane où se sont entretués des prospecteurs cinquante ans plus tôt, révélant
l’emplacement d’un gisement d’or ; ce sera le récit The Gold Hunters, publié en
1909.
The Wolf-Hunters est un récit centré sur les personnages d’Indiens et d’Américains,
personnages sympathiques, qui tuent pour gagner leur vie. Ils prennent